Classé | OPV

Patrouilleur Hauturier L’Adroit : Partenariat Gagnant

A la Une de Cols Bleus N°2980 du 5 novembre 2011

 

Cols bleus n°2980

Cols bleus n°2980

Extrait de l’Editorial de la rédaction:

L’arrivée d’un nouveau bâtiment est toujours un moment important.

La mise à disposition de la Marine du patrouilleur L’Adroit par la société DCNS est cependant une situation très nouvelle puisqu’il s’agit d’un accord inédit et exceptionnel de mise à disposition gracieuse.

Le constructeur naval a en effet conçu et réalisé le bateau sur ses fonds propres. Maintenant, pour l’éprouver à la mer, il le met pendant trois ans à disposition de la Marine qui fournira l’équipage et pourra l’utiliser pour des missions opérationnelles. Cette période permettra ainsi de valider les concepts retenus en vue de convaincre les futurs acheteurs. Nous vous proposons de découvrir ce nouveau venu au sein de notre flotte.

 


L'Adroit

L'Adroit

Ce qui frappe d’abord, c’est sa silhouette.

 

 

Pour un bateau de guerre de 87 mètres, c’est-à-dire approximativement de la taille d’un aviso A69, sa hauteur et sa largeur surprennent. L’Adroit est en effet un bateau novateur à plus d’un titre.

Le 21 octobre la Marine a pris en charge ce nouveau patrouilleur. Les termes utilisés sont d’importance.

Le bateau n’a pas été « livré » à la Marine par son constructeur et cette cérémonie ne célébrait pas son « admission au service actif » (cette dernière devrait avoir lieu début 2012). Très exactement, DCNS, le constructeur, mettait à la disposition de la Marine le nouveau patrouilleur. Pendant trois ans, la Marine, qui l’armera en fournissant l’équipage, pourra l’utiliser pour des missions opérationnelles. Comme ce patrouilleur a été conçu pour l’exportation, la Marine devra aussi, pendant la même période, mener, en collaboration avec DCNS, des activités à vocation plus commerciales. Certaines escales ont été spécialement programmées dans ce but.

Le nouveau bateau est un patrouilleur de haute mer (PHM ou « offshore patrol vessel » en anglais) conçu pour l’action de l’État en mer (surveillance maritime, police des pêches, lutte contre les trafics).

Il répond au besoin de nombreuses marines contraintes aujourd’hui d’utiliser des frégates – par nature fortement armées – pour affronter les gofast des narcotrafiquants et autres skiffs de pirates.

L’Adroit est donc un navire directement conçu pour ces missions. Navire d’un gabarit assez modeste et légèrement armé, il ne remplace cependant pas les frégates dans leurs missions de bâtiment de combat. À l’évidence, L’Adroit a vocation à combler un manque dans les moyens capacitaires des marines modernes.

DCNS et la Marine ont maintenant trois ans pour éprouver le bateau à la mer ce qui aidera l’industriel à convaincre d’éventuels acheteurs. Son commandant en second nous explique comment il envisage cette période.

 

NOTA BENE

L’Adroit a été construit selon des normes civiles. Pendant sa construction et ses 1ers essais, il s’appelait Hermès c’est donc sous ce nom qu’il apparaît sur les photos de cet article.


L’ADROIT, UN PATROUILLEUR DE NOUVELLE GÉNÉRATION

 

Il n’aura fallu que quinze petits mois entre la découpe de la première tôle et la première sortie à la mer de L’Adroit. Rien de moins qu’une prouesse technique, en regard des délais ordinaires. Sa conception et sa construction ont été financées sur fonds propres par le maître d’oeuvre DCNS : un défi industriel, qui, s’il était déjà éprouvé dans l’automobile et l’aéronautique civile, n’avait encore jamais été tenté dans le monde des bateaux de guerre. Ce fut le projet « Hermès ». Un partenariat gagnant-gagnant mené en cohérence avec la DGA au titre de son expertise technique.

Il bat aujourd’hui pavillon tricolore, pour trois ans, sous le nom L’Adroit. Charge à la Marine nationale d’en éprouver le potentiel en haute mer, offrant au passage un label d’exception à son constructeur : la certification « Sea Proven » (éprouvé à la mer) par une marine de premier ordre, l’argument capable d’ouvrir au premier-né de la dynastie Gowind les clés du succès à l’export. Dans un souci de maîtrise des coûts, la longue coque effilée de L’Adroit a été construite aux normes civiles. La formule n’a rien de nouveau, elle a déjà fait ses preuves pour les frégates de surveillance et les bâtiments de projection et de commandement (BPC). En revanche, c’est la pre mière fois que DCNS troque les traditionnels ailerons stabilisateurs pour le système américain « Flume ». Un dispositif sommaire, fait de cuves longitudinales remplies d’eau, permettant – selon le constructeur – de réduire de moitié les effets de roulis. Plus surprenant encore pour cet équipage de la Marine qui vient de prendre possession du navire : le très haut degré d’automatisation. À titre d’exemple, la navigation courante ne nécessite que trois à quatre personnes de quart. Conséquence logique, il n’y aura à bord que 32 marins (6 officiers, 20 officiers mariniers et 6 quartiers-maîtres et matelots). Pour un bâtiment de même tonnage, tel un Aviso, quelque 90 hommes sont nécessaires à la manoeuvre… « Nous avons certes beaucoup plus de place, mais il nous faudra gagner en polyvalence et en responsabilités, explique avec lucidité un second maître. Par exemple, j’exercerai non seulement ma spécialité de détecteur, mais je serai aussi appelé auprès des artilleurs pour mettre en oeuvre l’armement, ou auprès des boscos pour la mise à l’eau des embarcations de commandos. »

Une vision panoramique

Autre nouveauté, et non des moindres, L’Adroit est le tout premier bâtiment français doté d’un mât unique.

Construit à Lorient par DCNS, cette mâture abrite en un seul ensemble les deux radars Scanter du danois Terma (surveillance de l’environnement surface/aérien, et aide à l’appontage des hélicoptères), l’optronique EOMS/NG de Sagem (conduite de tir contre les menaces surface/aériennes de jour comme de nuit), ainsi que les systèmes Vigile et Altesse fournis par Thales (détection et identification des émissions radar et radio). L’avantage d’une mâture unique est d’offrir une vision panoramique sans l’angle mort habituellement causé par un autre mât. « Ce concept permet d’obtenir une vision tous azimuts, à 360 degrés, non seulement pour les systèmes de  détection mais également pour l’équipage, ce qui est notamment crucial pour contrer les menaces asymétriques », relève un responsable des projets de mâture unique chez DCNS.

Dès la phase d’études, en effet, le constructeur a pris en compte la nécessité vitale de protéger le bâtiment contre les menaces asymétriques, par exemple l’attaque par une embarcation suicide bourrée d’explosifs.

C’est ainsi qu’est née la passerelle panoramique, permettant aux marins de surveiller leur environnement à 360 degrés, à la vue ou par détection électronique.

L’ensemble des informations des équipements de veille et d’identification est fusionné par le système de lutte Polaris pour offrir une situation tactique instantanée de la zone d’action qui, le cas échéant, peut engager une embarcation hostile à l’aide de l’artillerie embarquée. Le Polaris est en sus totalement interopérable avec une force multinationale via la liaison de données L11. C’est la première fois qu’un patrouilleur est pourvu d’un système de combat, mais il est intéressant de noter que L’Adroit ne dispose pas d’un central opérations (CO) à proprement parler. C’est là l’une des principales différences avec les usages en vigueur sur les bateaux militaires, où le CO est traditionnellement un local à part entière. Sur L’Adroit, les consoles dévolues à la conduite des opérations cohabitent avec la timonerie et le PC Aviation. « Cela permet de tout regrouper en passerelle, où le chef de quart est directement en prise avec la navigation et les fonctions tactiques », détaille un ingénieur de DCNS. Un mélange des genres auquel devront s’accoutumer les marins. « Cette configuration permet en effet de centraliser toutes les décisions névralgiques, mais il va falloir une discipline de communication beaucoup plus grande pour éviter le brouhaha, prévient un officier. Il faut quand même noter qu’il y a clairement des idées très innovantes qui devraient avoir des répercussions sur le fonctionnement du bateau. »

Question armement, L’Adroit n’est pour l’heure pourvu que d’une artillerie légère. En attendant la décision de le doter du canon télé-opéré Narwhal de Nexter, un canon manuel de 20 mm sera installé à l’avant, ainsi que deux mitrailleuses de 12,7 mm sur la passerelle couvrant chaque flanc du navire (le dispositif pouvant être renforcé avec des mitrailleuses de calibre 7,62 mm). D’autres moyens non létaux complètent l’arsenal d’autodéfense, tels des canons à eau et à ultrasons. La coque des Gowind est toutefois conçue pour accueillir des moyens de combat bien plus importants.

À la demande de l’acquéreur, une tourelle de 76 mm, des lance-leurres et des missiles Exocet peuvent être montés en plage avant.

L’Adroit possède un atout génétique, imaginé depuis l’origine : la capacité de se muer en une base flottante pour forces spéciales. Tout est prévu à l’arrière du navire pour accueillir un détachement de 27 commandos en armes : couchages, salle pour la préparation des missions, locaux pour stocker le matériel, vestiaires et douches. Les unités d’élite peuvent être mises à l’eau par le tableau arrière, en cinq minutes, via deux longues rampes de 9 mètres (notamment compatibles avec les nouvelles embarcations semirigides Ecume). Un commando pourra aussi être déployé par la voie des airs, puisque L’Adroit est doté d’une plate-forme pour hélicoptères de la classe 10 tonnes de type Caïman (son abri ne pourra toutefois loger qu’un hélicoptère de la classe 5 tonnes, type Panther). En plus de son hélicoptère, L’Adroit a pour vocation d’être le premier véritable banc d’essai de la Marine, pour l’expérimentation des drones aériens embarqués. L’amiral Forissier, lorsqu’il était chef d’état-major de la Marine, n’en faisait pas mystère : « La Marine explorera le champ opérationnel le plus vaste possible avec L’Adroit, y compris dans des domaines auxquels on ne pense pas aujourd’hui… »

ASP FLORIAN MARTIN

 

Cobaye » d’un bâtiment construit dans le temps record d’un an et demi ; représentant de commerce de DCNS ; essai d’un bâtiment novateur,

précurseur d’un nouveau type de bâtiments ? C’est un peu cette expérience multiple que va vivre dans les trois prochaines années l’équipage de L’Adroit.

Le capitaine de frégate Loïc Guyot est depuis le 21 octobre à la tête d’un équipage de 32 hommes. Il vient de prendre le commandement de ce laboratoire opérationnel, construit sur fonds propres par DCNS dans le cadre du programme Hermès et mis à disposition de la Marine nationale pour trois ans. Son second est le capitaine de frégate Luc Regnier. Ce dernier nous donne ses premières impressions sur ce bateau et comment sont envisagées les trois prochaines années.

Laboratoire opérationnel

Le commandant et son équipage auront pour mission d’éprouver le navire et l’ensemble de ses capacités opérationnelles. L’Adroit est en effet un laboratoire d’idées, dans l’esprit gagnant-gagnant. Différents industriels ont d’ailleurs retenu l’idée de DCNS de mettre à disposition de la Marine leurs innovations, comme Thales ou Sagem. Ils peuvent ainsi tester certains de leurs produits, grandeur nature, dans ce laboratoire opérationnel.

« C’est un super bateau, plein d’innovations. C’est un bâtiment à fort potentiel. Le but est d’aller au bout de ces innovations. Notre travail réside essentiellement dans l’expérimentation et la finition. L’export se nourrira de notre retour d’expérience. C’est exactement ce que recherche l’industriel : l’obtention du label “Sea Proven” . Nous sommes missionnés pour en faire un bateau qui marche bien », commente enthousiaste le CF Luc Regnier.

Les cahiers des charges de la Marine et de DCNS sont d’ailleurs complémentaires. « En ce qui concerne la Marine, le retour d’expérience de L’Adroit nous aidera à mieux définir nos besoins sur le patrouilleur de haute mer dans le cadre du programme Batsimar. Le but est d’en faire un laboratoire multi-opérationnel efficace, tant pour notre propre retour d’expérience que pour favoriser l’export au profit de l’industriel », résume le commandant en second.

Plate-forme hélico, expérimentations comme la projection de drones aériens ou de surface, mises en oeuvre des embarcations des commandos, maintenance… les expériences ne vont pas manquer dans les semaines à venir pour l’équipage. « Le but est d’effectuer le tour des missions et voir comment l’ensemble fonctionne, comment l’équipage doit être renforcé ou non pour effectuer telle ou telle mission. » La modularité du patrouilleur, selon la nature des missions à conduire, autorise la présence à bord de 59 marins, avec trois semaines d’autonomie. Mais le retour d’expérience ne se trouve pas uniquement dans la projection de puissance. « Nous sommes chargés de mettre le bâtiment à l’épreuve. Cela commence par les petites choses qui rendent la vie simple à bord pour un équipage : aménagement intérieur, manoeuvre, bureaux… », précise le CF Regnier.

Un équipage corsaire

Une première équipe de deux officiers et quatre officiers mariniers supérieurs était en place depuis le mois de mai pour préparer l’accueil de l’équipage, vérifier le caractère fonctionnel du bâtiment et commencer à établir la liste des éventuelles modifications.

Le 5 septembre, l’équipage complet était en place. Tous volontaires pour cette expérience unique, les 32 marins jouent le jeu avec passion. « Fin du chantier, premiers jours de mer, tout se déroule vite et en même temps sur plusieurs plans dans un “petit” programme de ce type. C’est génial, tout le monde est motivé. On s’entraîne tout en apprenant et l’équipage réagit très bien. D’un point de vue humain, il faut un équipage réactif, polyvalent, prêt à apprendre rapidement.

C’est un petit équipage corsaire. Du commandant au matelot, tout le monde met la main à la pâte. Chacun est spécialiste de son domaine, mais donne en même temps un coup de main aux autres, résume le commandant en second. Côté maintenance, on devrait savoir faire avec un équipage à 32 marins, car il s’agit d’un bâtiment simple et moderne. D’autant plus que nous avons reçu une formation spécifique à quai. »

Retours d’expériences

Pour le commandant en second de L’Adroit, la nouveauté réside aussi dans le fait que la Marine n’est pas dans le cadre d’un contrat classique. « Contrairement aux bâtiments qui font l’objet d’une commande, nous recevons le bateau tel quel, mais nous ne disposons pas de leviers contractuels. Notre rôle est de tirer certains enseignements pratiques dans l’utilisation du bateau. Pour DCNS, tout résidera dans la capacité à s’adapter à ses clients. Au long des trois années de mise à l’épreuve du bâtiment par la Marine, une réunion se tiendra tous les six mois afin d’analyser les besoins de chacun des acteurs et faire remonter de manière plus formelle les retours  d’expérience.

La convention laisse beaucoup de liberté d’échange et de souplesse », souligne le CF Regnier.

Le programme du patrouilleur de haute mer est dense, en rapport avec ces retours d’expérience attendus : au menu, deux semaines d’essais de drones en mer par les industriels, avec une équipe de renforts dédiée. Mi-novembre : fin de la vérification des caractéristiques militaires. Transit vers Toulon fin novembre, puis mise en condition opérationnelle (MECO) et admission au service actif (ASA) en début d’année. Si tout se passe comme prévu, le début de l’année 2012 marquera les premières patrouilles de surveillance maritime en Méditerranée.

PROPOS RECUEILLIS PAR LV COLLOMBAN ERRARD

Répondre

You must be logged in to post a comment.